L’industrie du financement automobile est en pleine mutation, suite à l’évolution des préférences clients, de l’électrification, des avancées technologiques, de l’émergence de nouveaux acteurs dans l’écosystème et de nouvelles réglementations ou mises à jour. Toutes les principales parties prenantes sont concernées : les consommateurs, les constructeurs automobiles et leurs canaux de distribution, les prêteurs et les fournisseurs de technologie.
Lors du Summit 2023, le sujet a réuni James Powell, Head of Business, Specialized Finance chez Sopra Banking Software, Jean-Jacques Pineau, CPO & Head Of Solution Offering, Specialized Finance chez Sopra Banking Software, et les conseillers stratégiques Murad Baig et Philippe Maury le temps d’une conférence. Nous approfondissons aujourd’hui le résultat de leurs réflexions.
Tendances passées et présentes
Au fil des décennies, l’industrie automobile a connu relativement peu de bouleversements : les processus fondamentaux sont restés les mêmes pendant des années. Les fabricants fournissent les concessionnaires automobiles, et les consommateurs se rendent dans les franchises pour acheter leur véhicule et obtenir un financement.
Toutefois, cette période pourrait bientôt s’achever. Les besoins des consommateurs et leurs habitudes d’achat évoluent dans tous les domaines, avec de nouveaux modes de consommation et une flexibilité de plus en plus importante. La digitalisation a également eu un impact non négligeable.
Parallèlement, les avancées technologiques dans le monde des affaires et le secteur automobile influencent la trajectoire de l’industrie, avec notamment les véhicules électriques (VE), les systèmes avancés d’aide à la conduite, les voitures connectées et autonomes, et les innovations disruptives telles que la blockchain, le traitement des données massives (big data) et l’intelligence artificielle.
Associez à cela une prise de conscience environnementale accrue et le soutien aux législations vertes en cours : la taxonomie de l’UE, la Directive sur l’Efficacité Énergétique, le Règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs et le “ Consumer Duty ” au Royaume-Uni. Il est clair que “le changement est réel et se produit maintenant”, d’après James Powell.
Où se dirige l’industrie ?
Selon Murad Baig, la façon dont les gens achètent des voitures est similaire à la façon dont ils achètent sur Amazon. “Ils essaient de tout rendre digital”, explique-t-il. Pour que les fabricants d’équipements d’origine (OEM) et les sociétés de financement d’actifs suivent le rythme, maximiser la valeur des clients et des actifs sur plusieurs cycles est crucial. Pour y parvenir, il faut des systèmes harmonisés centrés sur les données et un modèle plus axé sur les services.
Au fur et à mesure qu’une voiture traverse des cycles de propriété et/ou d’utilisation, il est probable que l’on s’oriente vers la gestion d’actifs plutôt que vers le financement d’actifs.
Philippe Maury voit une “grande évolution plutôt qu’une révolution”, avec une évolution vers des modes de mobilité plus propres et différents. Il est également convaincu que les fintechs joueront un rôle orienté vers le client, en partenariat avec de grands financiers, des filiales financières ou des banques, à mesure qu’elles se développeront.
“Pour que la mobilité se développe, le partage des voitures et des véhicules autonomes sera essentiel”, selon Jean-Jacques Pineau. Étant donné que les voitures roulent moins de 5% du temps, l’utilisation des actifs et la rentabilité des coûts ne sont actuellement pas optimisées.
Le coût de propriété d’un véhicule peut toutefois baisser, en trouvant des moyens de générer des revenus lorsqu’une voiture reste inutilisée. À l’avenir, des taxis autonomes ou robotisés pourraient être exploités pour optimiser les temps de trajet, mais cela nécessite d’importants investissements en matière de logiciels.
Avec de telles opportunités de mobilité, les clients exigeront des parcours simples et sans friction. Cela implique un écosystème complexe, avec de nombreux acteurs – sociétés financières, fabricants et fournisseurs de services – qui se réunissent et regroupent leurs services.
Qu’est-ce qui va déclencher le changement ?
Le changement est déjà en cours : les consommateurs cherchent de plus en plus de flexibilité. En effet, de nombreux européens optent déjà pour la location ou l’achat à crédit plutôt que pour l’achat d’une voiture.
Divers plans de financement automobile flexibles sont également disponibles. C’est le cas des services de location tout compris (FSL) dans différentes zones géographiques, ou d’autres arrangements locaux/régionaux dans le cadre de la gestion du cycle commercial, comme l’achat de contrat personnel (PCP) au Royaume-Uni. En France, le FSL représentait 31,9 % des immatriculations totales de véhicules en octobre 2023, contre 28,4 % un an plus tôt.
On observe également une tendance croissante vers les modèles de location à court terme (contrats de 12 mois maximum), la micro-mobilité (scooters et vélos, parfois électriques) et les services d’abonnement. Philippe Maury voit un écosystème à plusieurs niveaux – un “mille-feuille” – qui se construit continuellement, la location courte durée et les services d’abonnement n’étant qu’une autre partie de ce paysage en évolution.
Au sein de cette structure, c’est la location longue durée qui connaît la croissance la plus importante, une tendance qui devrait se poursuivre. Selon une étude de McKinsey, la location longue durée est le premier motif de location – l’assurance et l’entretien sont inclus dans le contrat, et les problèmes éventuels tels que la vente d’une voiture d’occasion sont éliminés.
La grande majorité des véhicules sont loués par des entreprises pour leurs employés grâce à une gestion de flotte – il en va de même pour les véhicules électriques. Par exemple, Ayvens (ex-ALD | LeasePlan) souhaite que les véhicules électriques représentent 50 % des nouvelles immatriculations de son parc automobile d’ici 2026, contre 28 % en 2022, tandis que la société de gestion des installations et de services professionnels Mitie dispose déjà d’une flotte à moitié électrique et vise les 100 % d’ici 2025.
En effet, l’électrification en général est à l’origine du changement. L’adoption des véhicules électriques est soutenue et accélérée par des programmes de développement durable tels que les zones à faibles émissions, dont le nombre devrait atteindre 500 en Europe d’ici à 2025, les réglementations visant la neutralité carbone, et les investissements dans les infrastructures telles que les stations de recharge.
Les véhicules électriques ont une durée de vie beaucoup plus longue que les voitures traditionnelles à moteur à combustion interne (ICE) – résultat de la réduction du nombre de composants mécaniques. Il est donc important de maximiser leur utilisation sur plusieurs cycles.
L’engagement continu de l’industrie est également essentiel, comme en témoignent les services de mobilité KINTO de Toyota, les modèles de location à court terme d’AutoNation Mobility et les initiatives écologiques du Crédit Agricole – Leasys, une coentreprise de location avec Stellantis, et leur rachat de “planet mobility” Drivalia.
Ainsi, les progrès technologiques et les voitures autonomes accélèrent le changement. Des robots-taxis circulent déjà 24 heures sur 24 à San Francisco ; à mesure que les progrès se poursuivent, divers types de mobilité viendront s’ajouter aux modes traditionnels.
Écosystème de la mobilité : le rôle central du financement
À mesure que la dynamique s’accélère, l’infrastructure et les écosystèmes de mobilité deviennent de plus en plus importants. Le but est d’offrir une valeur accrue aux clients via l’orchestration fluide de divers services et fournisseurs.
Le financement des flottes est un aspect crucial. Les institutions financières, notamment les banques, joueront un rôle important en fournissant les bilans nécessaires pour que les propriétaires de flottes puissent financer efficacement leurs véhicules.
Pour aller plus loin, il est impératif de disposer d’une gamme variée de services tels qu’une gestion efficace des risques et un cadre d’ingénierie financière solide : une facturation précise garantit une utilisation optimale des actifs et une maximisation des coûts unitaires.
Il ne s’agit pas seulement de développer l’écosystème de la mobilité, mais aussi d’assurer sa rentabilité, sa viabilité et sa durabilité à long terme, souligne Murad Baig.
Qu’est-ce que cela signifie pour les fournisseurs de technologies logicielles ?
Des acteurs technologiques comme Sopra Banking Software opèrent leur transformation numérique en s’éloignant des systèmes monolithiques obsolètes.
Il y a une transition vers une plateforme orientée services, cruciale pour l’agilité et la capacité à fournir de nouveaux services. L’accent sera mis sur un écosystème qui gère et utilise efficacement les données des systèmes existants et des véhicules connectés. “Il y a aujourd’hui beaucoup de données dans les systèmes existants, et nous les utilisons très peu”, déclare Jean-Jacques Pineau. Leur exploitation peut permettre d’améliorer l’expérience client et de réduire le coût total de possession d’un véhicule.
Les coûts actuels de la “mobilité” restent élevés et devront significativement diminuer pour une adoption plus large et une utilisation de masse. L’adoption d’une architecture basée sur les services est utile, car elle permet l’utilisation de la technologie cloud et de systèmes sans serveur, ainsi que la mise en œuvre de modèles rentables de paiement selon l’utilisation.
Il est également fascinant de voir les éditeurs de logiciels évoluer, en partant d’un désir de tout construire à la livraison d’une solution de bout en bout, ou jusqu’à la réalisation de prestations de services plus spécialisés, déclare James Powell.
Qu’est-ce qui va changer dans le modèle établi de distribution de véhicules ?
Dans tous les secteurs, les consommateurs sont habitués à des modèles opérationnels centrés sur le client et à des expériences d’achat numérique fluides. De même, les acheteurs et les utilisateurs de voitures recherchent des options de transport et de mobilité pratiques, économiques et durables.
Le modèle traditionnel de distribution/vente – où les concessionnaires achètent des véhicules aux constructeurs, les financent par le biais d’un financement de gros, puis les vendent aux consommateurs finaux – ne peut pas répondre pleinement aux nouvelles attentes des clients.
Un modèle de distribution/vente en agence ou une approche directe au consommateur représente une évolution de la structure de vente traditionnelle à trois niveaux, vers un modèle en ligne et hors ligne rationnalisé. Dans cette configuration, les constructeurs s’engagent directement avec les clients et assument la responsabilité des transactions de vente. Les concessionnaires restent en contact avec les clients, mais agissent en tant qu’agents plutôt que partenaires contractuels.
Selon Philippe Maury, le modèle de distribution/vente par agence semble prometteur, en théorie, en particulier dans le cas de scénarios sans stock. Toutefois, des problèmes se posent lorsque quelqu’un doit supporter la charge des stocks.
Une étude menée par Kerrigan Advisors sur le marché américain de la vente au détail de véhicules automobiles confirme ce point de vue :
- 43% ne sont pas sûrs qu’un modèle d’agence se concrétisera.
- 35 % ne croient pas qu’il se concrétisera.
- Seuls 22 % sont optimistes.
De même, l’étude de la société CDK Global, spécialisée dans les technologies de vente au détail dans le secteur automobile, révèle que :
- 46 % des concessionnaires ne se sentent pas prêts à gérer le passage à un modèle d’agence en 2023 (contre 19 % en 2022).
- 10 % craignent que les constructeurs automobiles tentent de faire la transition (contre 12 % en 2022).
Cependant, en Europe, l’approche de vente directe au consommateur progresse. Volkswagen a mis en place un modèle d’agence pour sa voiture entièrement électrique “famille ID.” Ford a fait de même pour sa Mustang Mach-E. BMW, Honda et une poignée d’autres constructeurs sont également en train de mettre en place un modèle d’agence.
Murad Baig pense qu’une expérience omnicanale “phygitale” (à la fois physique et digitale) est la voie à suivre. Les clients bénéficieraient ainsi de la commodité d’un canal en ligne tout en ayant la possibilité de se rendre dans une concession pour voir un véhicule qui les intéresse.
Certaines concessions anticipent les bouleversements et prennent des mesures préventives. Par exemple, AutoNation a acquis CIG Financial pour former une branche financière captive. Parallèlement, Drivalia ouvre des boutiques de mobilité dans les concessions. Le financement de gros incite ces concessionnaires à prendre en charge une partie de la flotte, ce qui favorise la location par abonnement et l’autopartage.
Le secteur évolue, tout comme le développement de produits, où l’expérimentation, les tests et l’itération continue sont essentiels. La technologie est centrale, mais le défi consiste à aligner les différents systèmes propriétaires.
Jusqu’où peut aller une expérience entièrement numérique ?
Une expérience entièrement numérique, comme celle adoptée par Tesla en tant que start-up, est séduisante, mais une approche unique ne convient peut-être pas à tout le monde, en particulier à mesure que les bases de clients s’élargissent. Et malgré l’utilisation de l’intelligence artificielle, la gestion des “problèmes inattendus” reste un défi, selon Jean-Jacques Pineau.
Une expérience sans concession est agréable sur le papier. Pourtant, elle n’est pas nécessairement viable dans le monde réel où il est crucial d’interagir avec le client, comme de visualiser physiquement une voiture. Cela suggère que “les concessionnaires ont encore de beaux jours devant eux”, déclare Jean-Jacques Pineau.
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